[**1. La métropole résiliente : quel Grand Paris veut-on, fragilité ou résilience*]
Livier Vennin
La métropole au prisme du changement climatique.
Quelles capacités a-t-elle, quelles capacités ont ses habitants à y résister, à s’y adapter ? A quelles conversions politiques et pratiques doivent s’engager les gouvernants, les opérateurs – et les citadins ?
S’il parait sans appel, le panorama dressé par Yves Contassot sert au bout du compte de postulat pour la réflexion. Le changement climatique est inéluctable et la question n’est pas – n’est plus – comment nous pourrions le prévenir, mais comment nous saurons résister à ses impacts nuisibles, en atténuer les effets, nous y adapter ?
[*Ville résiliente : les fragilités du Grand Paris.*]
Le concept fait fortune, sous-tendant des nécessités d’autonomie, puisque pour être résilient, c’est-à dire pour pouvoir redémarrer après avoir subi un choc brutal, il faut pouvoir être en capacité de compter et mobiliser ses ressources propres.
Gageure, si l’on méprise ses propres fragilités.
Car de fait, les métropoles, mêmes si elles n’ont jamais autant concentré de pouvoirs et de richesses qu’aujourd’hui sont vulnérables.
Vulnérable, le Grand Paris l’est de ses dépend
ances multiples en matière de flux qui le nourrissent : flux alimentaires, énergétiques, citadins, logistiques, touristiques, …
Vulnérable, le Grand Paris l’est dans ses composantes sociales. La précarisation due au renchérissement des prix de l’énergie, la spécialisation de ses territoires déjà soulignée et ses conséquences en matière de besoin de mobilité mettent en risque une part importante de ses citadins. La dépendance énergétique des habitants, qui seront confrontés à des augmentations des prix de l’énergie supérieures en valeur aux actions de réduction des consommations qu’ils pourront faire, fait craindre que cette précarisation aille augmentant.
A ces fragilités intrinsèques viennent s’ajouter toute une somme de fragilités structurelles.
Pratiques urbaines qui renforcent la spécialisation des territoires, ainsi qu’en atteste les disputes entre collectivités autour du ratio emploi / logement dans le cadre de l’adoption du SDRIF. Malgré l’apparente prise de conscience collective, tout l’arsenal réglementaire de l’urbanisme semble concourir à l’artificialisation des sols, avec les conséquences connues en matière de perte de ressources agricoles et alimentaires et d’augmentation des risques en matière d’inondation. Du côté des infrastructures et des réseaux (eau, assainissement, énergies, déchets), leur gouvernance en silo ne donne guère prise d’ensemble aux élus locaux et leurs surcapacités chroniques n’incitent pas à cultiver des comportements sobres.
[*Ville résiliente : « raccrocher » le fait métropolitain au concept*]
Et peut-être est-ce, au fond, que se situe le paradoxe. Ville puissante, ville résistante, ville résiliente : en quoi cela peut-il « accrocher » le métropolitain, quand il sait ou suppose la ressource abondante – et ne voit de limite à son accès qu’à travers sa condition sociale ?
Peut-on envisager cet accrochage par une forme de gouvernement intégré de la ville résiliente ? Pour le compte de l’ACUF, et du Centre européen de prévention du risque d’inondation (CEPRI), des élèves du Master STU de Sciences Po. Paris ont mené récemment une étude intitulée De la résistance à la résilience auprès des communautés urbaines françaises face aux risques inéluctables. Elles ont pointé le passage de politiques d’aménagement défensives, fondées avant tout sur la construction de digues, à des politiques d’acceptation lesquelles visent à empêcher la destruction de la ville et à permettre son redémarrage rapide. Ce faisant, elles ont cherché à identifier des moyens d’action permettant de concevoir la gestion du risque de manière globale et intégrée comme une opportunité au bénéfice de la résilience et du développement durable des villes.
Le fait que cette réflexion soit menée par des communautés urbaines légitime en quelque sorte la notion de gouvernement intégré. En effet, c’est la même entité qui exerce les compétences relatives au transport, à la voirie, à l’urbanisme, à la gestion des déchets, à l’eau et à l’assainissement. Contrairement à d’autres collectivités, les communautés urbaines ne se heurtent donc pas au problème du « travail en silo ».
Reste le sujet de l’accompagnement social de proximité. Les retours d’expérience qui jalonnent les crises de sécurité civile en répètent chaque fois le caractère essentiel. Liens humains de voisinage indispensables pour alerter et secourir : ils ne peuvent être substitués par les moyens de géo-localisation ou de communication à distance – eux-mêmes courant le risque d’être mis en défaillance. Ici se pose la question de l’échelle de l’intégration, nécessairement inférieure à celle du gigantisme de la métropole.
[*Ville résiliente, ville autonome ?*]
Et comment cette intention de gouvernement intégré peut-elle s’articuler avec les pratiques des opérateurs de réseaux dont l’échelle dépasse le cadre de la métropole ? Leurs réseaux ont été conçus et construits dans une logique d’économie d’échelle et de rendement croissants qui structurent en quelque sorte leur propre résilience. Ainsi parle-t-on, de « réseaux autocicatrisants » dans le domaine de l’électricité, dès lors que les automatismes électroniques permettent d’isoler les défauts d’alimentation à la maille la plus fine possible, indépendamment des échelles possibles de gouvernance urbaine.
Au delà, en situation de cataclysme, leur conduite est organisée autour d’un principe de résilience intrinsèque. Doctrine mise en œuvre par tous les opérateurs de réseaux des pays développés. Illustrée par exemple par le rapport remis par la Federal Power Commission au Président Johnson suite au black-out de New-York en novembre 1965 : il jugeait essentiel que « les gouvernements définissent ensemble les critères et les normes à partir desquels les divers réseaux interconnectés cessent de s’aider mutuellement et tentent de se sauver eux-mêmes ».
Se sauver soi-même, autre nom contemporain de la résilience sous-tendue par l’autonomie ?
L’autonomie, à la différence de l’autarcie, ne se situe pas dans la négation des interdépendances. « Se sauver soi-même » peut dès lors s’affirmer comme une forme de responsabilité, dès lors que consciente de ses contingences, elle contribue par la résilience de son sujet au secours ultérieur de la collectivité ?
Autonome, une métropole résiliente autonome parait être une métropole en capacité de prendre en compte ses interdépendances envers des infrastructures et des échelles plus larges, pour définir ses propres règles.
N’est-ce pas là une forme de responsabilité politique qu’elle se doit envers ses habitants et ses opérateurs ?
[**2. La Seine-Saint-Denis, territoire spécifique et enjeux métropolitains*]
Claire Juillard
En Seine-Saint-Denis, de nombreux indicateurs sont au rouge : le taux de pauvreté atteint des records (21,5% contre 12% en Île-de-France), le taux de bi-activité plafonne 13 points en-dessous de la moyenne francilienne (54%, contre 67%), les familles monoparentales sont surreprésentées (27% contre 24%), le taux d’échec scolaire s’envole (22% des jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ou avec un diplôme inférieur au bac, contre 16% en Île-de-France) et les actifs sans diplôme sont en proportion particulièrement élevée (24% contre 15%).
Les tendances à l’œuvre confirment le décrochage dont ces indicateurs témoignent : alors qu’il augmente ailleurs, notamment dans Paris intra-muros, le revenu moyen en Seine-Saint-Denis ne cesse de diminuer par rapport à la moyenne régionale. Cette dégradation relative n’est pas sans lien avec l’évolution de la structure socioprofessionnelle de la population : dans le département, alors que les employés voient leur surreprésentation s’accroître, les cadres restent nettement sous-représentés, du fait d’une progression de leurs effectifs nettement plus lente qu’ailleurs. De même, la part des ouvriers décroit moins vite qu’en Île-de-France en général, et qu’au cœur de la région en particulier. Ici, point d’effet de rattrapage donc, mais plutôt un effet accru de spécialisation.
Au plan migratoire d’abord, le brassage des populations impulsé par la métropolisation n’y change rien effectivement : la Seine-Saint-Denis reste spécialisée dans l’accueil des catégories populaires, des immigrés en famille pour une part significative d’entre elles. Elle représente une étape dans le parcours résidentiel, la seconde après l’arrivée en Île-de-France dont la porte d’entrée reste Paris intra-muros pour la plupart des catégories de migrants.
Au plan économique ensuite, si l’implantation de nombreux sièges sociaux constitue bien le signe d’une attractivité accrue, la dynamique métropolitaine ne profite pas aux habitants : d’un côté, le département compte peu d’habitants parmi les salariés occupant les emplois, souvent qualifiés, offerts par les entreprises nouvellement installées ; de l’autre côté, les salariés qui ont suivi ces entreprises sont peu nombreux non seulement à avoir élu résidence dans le département mais à consommer les services et les équipements locaux.
Au plan des services, des équipements et des commerces enfin, la Seine-Saint-Denis reste sous-dotée malgré les projets réalisés. Une raison en est l’internalisation d’une part croissante de services au sein des entreprises.
Le parc de logement est un autre facteur de reproduction du caractère spécialisé de la Seine-Saint-Denis : avec 33% de logements sociaux en moyenne (contre 22% en Île-de-France), le département voit une partie de ses catégories populaires fixées (« scotchées ») sur son territoire ; avec son taux record d’insalubrité, son parc privé concentre des populations pauvres qui, soit s’y retrouvent comme dans une nasse, soit en font l’usage d’un sas ; alors qu’ils représentent 41% des ménages, ses propriétaires occupants déclarent un revenu moyen relativement limité.
Au final, la situation du département s’inscrit dans la tendance suivante : alors que la dynamique métropolitaine renforce la concentration de la pauvreté en Seine-Saint-Denis, elle contribue non seulement à l’enrichissement des territoires riches, mais à l’embourgeoisement des quartiers autrefois intermédiaires. Les contrastes en ressortent renforcés en Île-de-France, y compris entre zones limitrophes. L’augmentation des écarts de revenus en est un marqueur ainsi, dans un autre registre, que les résultats aux élections.
Dans ce contexte, les politiques de transports seraient de nature à conforter plutôt qu’à modifier les rôles des territoires. Quand les transports s’améliorent, le « prolétariat tertiaire » qui se concentre en Seine-Saint-Denis multiplie les navettes domicile-travail pour rejoindre les emplois qu’il occupe dans toute la région dans des entreprises de prestations de service (gardiennage, nettoyage, etc.). Pour cette main-d’œuvre peu ou pas qualifiée happée par la métropolisation aux côtés de catégories supérieures, les perspectives de mobilité sociale sont médiocres : l’externalisation croissante des fonctions qu’elle occupe limite drastiquement les possibilités d’intégration progressive que les grandes entreprises offraient autrefois à leurs employés les moins qualifiés. Les opportunités de mobilité résidentielle se font rares aussi, sinon dans le parc privé dégradé.
Cependant, la photographie d’ensemble du département masque d’importantes disparités internes. Le parc de logement en révèle les principales lignes de partage : la partie Nord-Ouest du département, effectivement dominée par le parc social et le parc privé dégradé contraste, d’un côté avec la partie orientale, où l’individuel en accession se fait majoritaire, de l’autre côté avec l’arc périphérique qui, formé par les communes limitrophes de Paris (d’Aubervilliers à Montreuil), semble présenter un avantage comparatif par rapport à la capitale en terme d’offre de logements récents et d’opportunités d’accession à la propriété.
La pauvreté se concentre donc au sein même du territoire départemental dans des poches dont les conditions apparaissent difficiles à améliorer dans un contexte de forte réduction des moyens publics. A l’opposé, les opportunités offertes, d’une part aux constructeurs et aux promoteurs, d’autre part aux ménages soucieux de « s’agrandir », ne sont pas des moindres. Les friches sont même nombreuses et les territoires à fort potentiel de développement sont loin de faire défaut. Pour les valoriser, la fiabilisation des transports ne suffira pas. Le développement métropolitain suppose d’actionner d’autres leviers.