Inscrire nos sociétés sur une trajectoire qui respecte les limites planétaires impose une bifurcation radicale. Et celle-ci ne concerne plus le long terme : ainsi, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, c’est la prochaine décennie qui sera décisive. L’ampleur de ce chantier, son urgence, son caractère systémique ont remis au goût du jour le terme, qu’on croyait tombé en désuétude, de planification, désormais qualifiée d’écologique. Un guidage par l’action publique parait indispensable pour orchestrer dans la durée et dans l’espace les transformations requises, et pour jouer le rôle de « réducteur d’incertitude » assigné autrefois au Plan.
Ce chantier soulève cependant des questions beaucoup plus complexes que celui de la modernisation d’après-guerre. La mondialisation, la construction européenne et la décentralisation sont passées par là et l’Etat n’a plus le monopole de l’autorité politique. En outre, si les objectifs sont clairs, il n’existe pas de consensus sur les trajectoires pour y parvenir, du rationnement imposé à la fuite en avant technologique.
Nous ne manquons aujourd’hui pas de plans, de schémas et de programmes, aux niveaux européen, national et local, sans distinguer clairement ce qui relève de la déclaration d’intention, du programme assorti d’investissements ou du document opposable en droit. Nous manquons en revanche cruellement de méthode pour les mettre en œuvre. Comment transformer les comportements d’une multitude d’acteurs tout en préservant leur autonomie ? Comment fournir un effort soutenu sur plusieurs décennies, dans un environnement social, technologique et international mouvant ? Quelles nouvelles protections inventer, que ce soit pour prendre en charge les dommages du changement climatique ou pour compenser les perdants des politiques d’atténuation ?
L’enjeu est donc désormais de faire atterrir cette planification écologique. Production d’énergies renouvelables, mutations industrielles, transformation des modes d’habiter et de se déplacer, transition agricole et alimentaire… tous ces enjeux renvoient à des activités ancrées dans les territoires, dont les équilibres vont être profondément modifiés et les interdépendances redessinées. Sans une transformation des imaginaires et une appropriation large des enjeux, sans une co-construction des objectifs et une négociation des moyens mis en œuvre, sans disponibilité des financements et des compétences, sans suivi et, le cas échéant, sans correction des trajectoires, la planification restera hors sol et vouée à l’échec.
Avec la planification, on assiste donc au retour en grâce d’un autre terme, celui d’aménagement du territoire. Car l’addition des initiatives locales ne suffira pas. Mais il ne saurait être question de revenir à un aménagement imposé d’en haut. L’enjeu est d’ouvrir, à toutes les échelles et avec toutes les parties prenantes, des scènes de négociation où seront débattues les conditions d’acceptabilité, et scellés les compromis permettant d’avancer. Où l’on voit que la planification n’est en aucun cas un étouffoir de la vitalité démocratique. Celle-ci est au contraire une des conditions majeures de sa réussite.